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Giorgio Buccellati et Marilyn Kelly-Buccellati

Lauréat et Lauréate Prix Balzan 2021 pour

 

Art et Archéologie du Proche-Orient ancien

Depuis 1984, ils dirigent les fouilles dans la ville d’Urkesh, aujourd’hui connue sous le nom de Tell Mozan, en Syrie : Giorgio Buccellati et son épouse Marilyn Kelly-Buccellati.

 

Les origines de cette ville remontent à six mille ans. Pendant trois millénaires, elle fut un important centre politique et religieux d’une culture mésopotamienne peu connue, les Hourrites. Grâce au travail de ce couple, leur culture est à présent sauvée de l’oubli. Le prix Balzan 2021 a été décerné à Giorgio Buccellati et Marilyn Kelly-Buccellati « pour les résultats obtenus dans le cadre de l’étude de la culture hourrite et la démonstration de son importance en tant que fondatrice d’une grande civilisation urbaine, parmi les plus florissantes du Proche-Orient ancien au troisième millénaire av. J.-C., ainsi que pour avoir fait la promotion de l’approche numérique dans le cadre des recherches en archéologie et avoir développé l’approche théorique de cette discipline ».

 

Giorgio Buccellati (né en 1937) est professeur émérite de langues et d’histoire à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), où il enseigne encore aujourd’hui et a fondé l’Institut d’archéologie en 1973. Il est également directeur de l’International Institute for Mesopotamian Area Studies (IIMAS). Marilyn Kelly-Bucellati est professeure émérite à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA). Ensemble, ils ont mené des fouilles archéologiques au Proche-Orient, notamment en Syrie ainsi qu’en Turquie et dans le Caucase.

Ce que les chercheuses et chercheurs primés transmettent à la relève

Quelle est l’influence de la flore intestinale sur la croissance de l’enfant ? Qui étaient les Hourrites ? Que nous révèlent les ondes gravitationnelles sur les origines de l’univers ? Pourquoi de nombreuses personnes assistent-elles, en spectatrices et spectateurs passifs, à l’exclusion et à la persécution systématique d’autres peuples, à l’instar du sort réservé aux Juives et aux Juifs sous le régime nazi ? L’ensemble des scientifiques récompensés par le Prix Balzan 2021 apportent tour à tour des réponses à ces questions. Fin juin 2022, les lauréat·e·s ont été invité·e·s à Berne à l’occasion de la remise des prix. Au travers d’entretiens individuels, ils et elles nous ont livré un aperçu de leurs travaux de recherche ainsi que révélé qui sont leurs modèles et ce qu’ils et elles souhaitent transmettre aux jeunes chercheuses et chercheurs.

 

Entretien d’Astrid Tomczak-Plewka avec Giorgio Buccellati et Marilyn Kelly-Buccellati

 

Giorgio Buccellati, Marilyn Kelly-Buccellati, comment expliqueriez-vous votre domaine de recherche à ma fille de 14 ans ?

G.B. (rires) : Eh bien, il s’agit en fait de découvrir les personnes qui se cachent derrière les objets. Les enfants ont beaucoup d’imagination, ils voient des poupées et inventent des histoires à leur sujet. Dans notre cas, les histoires sont réelles. Le plus intéressant, c’est de découvrir la vraie vie que ces individus menaient grâce aux fouilles.

M.K.B : Et il ne faut pas avoir peur de se salir les mains, nous passons notre temps à fouiller dans la boue. Enfant déjà, j’aimais façonner des souris avec de la vase.

 

Que signifie pour vous le Prix Balzan ?

G.B. : C’est une distinction spéciale. En fait, ce prix nous oblige plus qu’il ne nous honore, car grâce à la dotation qui l’accompagne, il nous permet de développer un projet de recherche. C’est donc un peu comme l’obtention d’une bourse d’études. Nous travaillons avec des jeunes gens du monde entier, notamment de Syrie, d’Europe, des États-Unis et de Chine, et réunissons ainsi différents éléments de notre recherche, que nous ne pourrions pas financer sans ce soutien.

M.K.B : Ce prix nous donne un grand sentiment de valorisation. Nombre de nos étudiant·e·s ont beaucoup souffert de la pandémie de coronavirus. Ils et elles se sont par exemple retrouvé·e·s séparé·e·s de leur famille, sans plus pouvoir leur rendre visite. Ce prix les a motivé·e·s, et nous aussi, bien sûr.

 

Pour ces jeunes, vous servez de modèle. Quels ont été vos propres modèles au cours de votre carrière ?

M.K.B : Pour moi, ce n’était pas une personne, mais un livre. Je vivais dans une petite ville du New Jersey et j’adorais aller à la bibliothèque. À 12 ou 13 ans, j’ai lu un livre sur les manuscrits de la mer Morte. J’ai trouvé le sujet extrêmement intéressant et merveilleux. C’est à ce moment que j’ai su que je voulais devenir archéologue.

G.B. : Mon modèle est ma femme. En effet, j’ai commencé ma carrière en tant que philologue, et ma première mission sur le terrain était en tant que chercheur en épigraphie en Irak. J’ai ensuite épousé Marilyn, et elle m’a converti à l’archéologie.

 

Que souhaitez-vous transmettre aux jeunes chercheuses et chercheurs qui souhaitent suivre vos traces ?

G.B. : C’est une question très importante. Et en ce qui me concerne, je pense qu’il s’agit de transmettre des valeurs. Aujourd’hui, nous parlons beaucoup de technologies et nous les utilisons, ce qui est formidable. Nous avons besoin d’expertise, mais nous ne devons pas perdre de vue les valeurs, ce qui me ramène à ma première réponse. Derrière les choses, il y a toujours des femmes et des hommes. C’est intéressant : d’une part, la technologie connecte les gens, mais d’autre part, nous vivons dans l’anonymat et un très grand nombre d’êtres humains se sentent finalement seuls.

M.K.B : Je ne saurais en effet que trop insister sur ce point. Nous nous identifions aux personnes de l’Antiquité et aux personnes avec lesquelles nous travaillons. Nous partageons par exemple toujours nos connaissances avec les ouvriers présents sur nos sites de fouilles, puis une expression en arabe m’échappe et quelqu’un m’indique le mot que je cherchais. Nous ne sommes donc pas seulement liés aux êtres humains de l’Antiquité, mais aussi à nos contemporains.

G.B. : Je voudrais ajouter quelque chose : il existe un terme technique compliqué pour désigner ce que nous faisons, l’herméneutique. Nous explorons la dimension humaine derrière les messages muets laissés par l’Antiquité.

Depuis 1961, la fondation Internationale Prix Balzan octroie chaque année un total de trois millions de francs suisses à des scientifiques éminents issus des sciences sociales et humaines et des sciences naturelles ainsi que des personnalités provenant des domaines de l’art et de la culture. L’annonce des lauréat·e·s a lieu en septembre à Milan et la cérémonie de remise des prix ainsi que le Forum interdisciplinaire des lauréat·e·s se déroulent tour à tour à Rome et à Berne. En raison de la pandémie de coronavirus, les événements de l’année dernière ont dû être repoussés. Le Forum se tiendra donc le 30 juin 2022. Cette année, six chercheuses et chercheurs seront récompensés à Berne pour leurs contributions aux études sur le microbiome, la gravitation, la Shoah et le genocide ainsi que l’art et l’archéologie du Proche-Orient.