La qualité de la recherche scientifique était jusqu’ici mesurée en fonction du nombre de publications dans d’importantes revues spécialisées. Plus ces dernières sont réputées et plus ce qu’on appelle le facteur d’impact des revues (Journal Impact Factor) est élevé. Il constituait jusqu’ici le critère décisif pour l’évaluation des performances scientifiques. Un critère insatisfaisant car il ne prend pas en compte toute la diversité de l’engagement de nombreux scientifiques.
La déclaration DORA (voir encadré) demande une évaluation globale de la performance. Le Fonds national suisse (FNS) l’a signée et a procédé il y a quelques mois à des adaptions en profondeur dans ses règlements concernant l’encouragement des carrières. « La mise en œuvre de la déclaration de San Francisco DORA répond à une préoccupation brûlante de la communauté scientifique et donne une voix aux initiatives « Better Science » et « We Scientists Shape Science »», relève Claudia Appenzeller, modératrice du panel.
Ces changements ont incité les Académies suisses des sciences à lancer une discussion sur la culture scientifique de l’avenir ainsi que sur la durabilité, la diversité et l’égalité des chances, dans son format en ligne « Science after Noon ». Le débat a été animé par Claudia Appenzeller, secrétaire générale des Académies suisses des sciences.
Inés de la Cuadra, responsable adjointe des carrières au sein du FNS, a évoqué en préambule quelques changements introduits en août 2020. « Jusqu’ici, il fallait en règle générale avoir fait preuve de mobilité académique avant le dépôt de la requête. Cette mobilité est maintenant aussi possible au cours de la durée du subside. Plusieurs séjours brefs, des collaborations au niveau international ou des invitations à des conférences internationales comptent également », a-t-elle fait valoir.
Essentiel jusqu’ici, le facteur d’impact perd de son importance. « Il n’est plus exigé. Le FNS souhaite mettre l’accent sur la qualité des articles et pas sur la renommée des revues », a affirmé Inés de la Cuadra. A côté des publications, des brevets, des contributions, l’organisation de conférences ou l’engagement dans la formation de la relève sont ainsi aussi pris en considération.
Un autre point central de ce débat « Science after Noon » a été l’excellence. Comment la distinguer et qu’est-ce qui est nécessaire pour permettre un travail excellent ? « L’excellence signifie contribuer à l’émergence de nouvelles connaissances. Pour cela il est nécessaire d’avoir de la curiosité, des connaissances et le courage de proposer et de défendre des idées provocantes », a estimé Philippe Moreillon, président de la SCNAT.
L’ensemble de la personnalité contribue aussi à l’excellence. « La personne, sa recherche, sa capacité à travailler en équipe et son enseignement doivent constituer un tout, afin que le ou la chercheuse puisse fournir les résultats attendus. Ce n’est qu’ainsi qu’un travail exceptionnel est possible », a argué Katharina Fromm, vice-rectrice Recherche et Innovation à l’Université de Fribourg.
Et Estefania Cuero, porte-parole de la Jeune Académie Suisse, d’ajouter : « Nous devons considérer les résultats du travail pour eux-mêmes. Un travail excellent est celui qui remet en question les choses telles que nous les connaissons. Si, au lieu de cela, nous utilisons la notion d’excellence à mauvais escient afin d’attiser la concurrence, ce qui nuit en fin de compte à la qualité de la science, alors nous aurons raté l’objectif. »
Les exigences de l’initiative « Better Science » vont encore plus loin que celles de DORA. L’initiative s’appuie sur une notion holistique de l’excellence. « Comment peut-on créer d’excellents produits dans le domaine de la recherche et de l’enseignement ? En pouvant prendre du temps pour réfléchir. En fixant des priorités et en définissant où il faut fournir un produit exceptionnel et où un produit très bon suffit aussi », a expliqué Nicole Nyffenegger, l’une des co-initiatrices de « Better Science ».
Il est par ailleurs important, selon elle, de rendre visible tout ce que l’on accomplit, les performances dans la recherche, l’enseignement, l’administration, mais aussi dans la société et dans le travail de care. « L’ancien accent mis sur la liste des publications laisse à tort dans l’ombre de nombreuses prestations importantes dans d’autres domaines », a-t-elle relevée.
Autre point, le rythme de travail a augmenté dans la recherche. « Nous avons tous trop peu de temps, a poursuivi Nicole Nyffenegger. C’est pourquoi il est d’autant plus important de montrer que l’on peut et doit prendre du temps. C’est souvent un privilège des scientifiques bien établis. La relève est en général soumise à une énorme pression en termes de temps et de performance. Nous voulons changer cela. »
Estefania Cuero, doctorante encore en début de carrière, a confirmé que prendre de telles libertés à ce stade était toujours un combat. « Il s’agit aussi de sécurité financière et d’une exigence de qualité », a-t-elle déclaré. Selon elle, expérimenter exige de la liberté et un environnement ouvert à cette perspective. Et de préciser : « Il est difficile de se distinguer, de tester de nouvelles voies, lorsqu’on nous fait savoir que cela n’est pas bien vu. »
Un avis partagé par Philippe Moreillon. « On doit disposer de temps pour avoir l’esprit libre. Si j’ai reçu plusieurs millions de francs du Fonds national au cours des décennies passées, c’est je crois parce que je me suis sans cesse accordé trois ou quatre heures pour me promener dans la forêt, tout en réfléchissant à l’aide d’un dictaphone à ce qui n’avait pas encore été exploré dans ma discipline », a-t-il déclaré. Selon lui, il est nécessaire de s’octroyer délibérément ce temps.
L’égalité des chances est un autre point important lorsqu’il s’agit de garantir de bonnes conditions de travail à tous et toutes. Le bât blesse encore au biveau de la diversité. Il y a ainsi un gros déséquilibre au niveau de la répartition entre les sexes. Plus de la moitié des titulaires d’un master sont aujourd’hui des femmes. Ces dernières ne constituent toutefois que le 24% du corps professoral.
Les universités sont depuis longtemps conscientes de ce gaspillage de potentiel. Katharina Fromm a indiqué qu’à Fribourg on était justement en train de sensibiliser toutes les commissions de nomination pour faire en sorte que les femmes aient leur chance. « Je suis toutefois convaincue que l’on doit déjà agir en amont et encourager les femmes à se porter candidates. Elles sont souvent extrêmement bien qualifiées, mais plus autocritiques que les hommes. Je connais d’autres universités qui invitent de manière conséquente les trois meilleures femmes et les trois meilleurs hommes. »
Permettre la diversité et l’encourager activement devrait devenir évident. « Nous avons besoin d’une politique de la diversité généralisée et contraignante qui replace les groupes marginalisés au centre. Nous perdons déjà un potentiel précieux. Nous ne pouvons pas nous le permettre », a fait remarquer Estefania Cuero. Pour elle, l’encouragement de la diversité et de l’égalité des chances doit avoir une réelle substance. Une stratégie sur le papier ne suffit pas. Et d’ajouter : « L’exclusion est un acte qui a un impact dont personne ne veut concrètement prendre la responsabilité. Les gens doivent en être conscients et se demander ce qu’ils peuvent faire pour contrer cela. »
Dr Inés de la Cuadra
Responsable adjointe des carrières au sein du FNS. Responsable jusqu’en 2019 des instruments d’encouragement Eccellenza, Ambizione, PRIMA. En charge actuellement de la mise en œuvre de DORA dans l’encouragement des carrières.
Prof. em. Philippe Moreillon
Président de la SCNAT. Membre du comité directeur d’a+. Professeur honoraire de l’Université de Lausanne et ancien directeur du Département de microbiologie fondamentale à l’interface avec la médecine. Ancien président de la Commission pour l’encouragement de la relève de la SCNAT.
Prof. Katharina Fromm
Professeure ordinaire au Département de chimie de l'Université de Fribourg et vice-rectrice Recherche et Innovation. Vice-présidente du Conseil de la recherche du FNS jusqu’en 2019. Engagée dans l’encouragement de la relève.
Estefania Cuero
Doctorante à l’Université de Lucerne dans le domaine de la coopération au développement fondée sur les droits de l'homme. Collaboratrice scientifique au sein du Service de l’égalité des chances de l’Université de Lucerne. Porte-parole de la Jeune Académie Suisse.
Nicole Nyffenegger
Enseignante au Département d’anglais de l’Université de Berne. Plusieurs fois distinguée pour la qualité de son enseignement. Experte principale d’anglais au sein de la Commission cantonale de maturité. Co-initiatrice de « Better Science ». Mère de trois enfants.
Maison des Académies
Laupenstrasse 7
Case postale
3001 Berne