Auteure : Elisabeth Alfs-Lapraz
Le Covid m’a doublement perturbée. J’ai détesté enseigner assise devant mon écran et les théâtres étaient fermés. Car si j’enseigne debout, j’aime m’asseoir dans les salles. Je me suis aussi beaucoup inquiétée pour les artistes. Certains ont pris le parti de compenser la disparition des spectacles par des activités de substitutions en ligne, d’autres ont déclaré qu’il n’y avait pas de substitution possible. Mais à la fin, tout le monde était d’accord sur le fait que les retranscriptions en ligne ne remplaceraient jamais les spectacles vivants. Quant à mes étudiant·e·s, ils et elles étaient privés de leur objet d’étude sous sa forme actuelle et vivante.
À l’occasion des 400 ans de Molière, nous avons monté avec des collègues de Suisse romande un grand projet de médiation financé par Agora (instrument d’encouragement du Fonds national suisse). L’opération « Rire avec Molière ? » met en relation trois universités, la télévision, la radio et plusieurs théâtres. Avec des publics diversifiés, nous avons voulu remettre en question l’idée que Molière serait universel et transhistorique et qu’il ferait rire de la même manière depuis le 17e siècle. En réalité, ses grandes comédies se renouvellent sans cesse, grâce à la recherche scientifique et au travail des artistes de la scène.
La médiation scientifique m’a toujours intéressée, y compris en tant qu’historienne de la littérature. J’ai consacré ma thèse à Camille Flammarion, un astronome populaire du 19e siècle, qui a utilisé tous les médias de son époque pour diffuser ses connaissances au plus grand nombre. C’était un conférencier hors pair, le roi de la projection lumineuse ! Son oeuvre démontre le noeud existant dans la médiation scientifique entre discours, figure de l’orateur ou de l’oratrice, mise en spectacle du contenu scientifique et outils technologiques.
Autour de Wikipedia, Science et Cité a lancé un chantier que je trouve particulièrement intéressant. La Fondation met à disposition des capsules de formation destinées aux enseignant·e·s universitaires. Au lieu de simplement critiquer cette encyclopédie participative et populaire, on peut en effet se l’approprier avec les étudiant·e·s. Il y a encore bien des lacunes dans les sujets traités. La rédaction d’une notice, selon des normes rédactionnelles exigeantes, aide à convaincre les étudiant·e·s de l’utilité de leur recherche et à les sensibiliser au partage du savoir.
Mon intérêt plus général pour les relations entre les sciences de la nature et les sciences de la culture s’explique en partie par ma frustration d’avoir eu à choisir, à l’âge de douze ans, entre ces deux orientations. Lorsque j’étais vice-rectrice, j’ai contribué à la consolidation d’un socle de culture partagé entre les étudiant·e·s des facultés de sciences humaines, de sciences naturelles et de sciences de base à l’Université de Lausanne et à l’EPFL. Un programme d’enseignement en sciences humaines et sociales destiné aux étudiants de l’EPFL existait déjà. Je l’ai complété par un ensemble de cours offerts aux étudiant·e·s de sciences humaines afin qu’ils n’abandonnent pas leur curiosité pour la physique, la biologie ou encore les mathématiques.
Grâce aux cours que je dispensais à l’EPFL, j’ai été amenée à repenser mon enseignement à l’Université. Il y a en effet beaucoup d’implicite quand on s’adresse à des étudiant·e·s qui se sont engagés dans notre discipline. Dès que l’on s’adresse à des personnes qui n’ont pas élu cette discipline, certains concepts fondamentaux doivent être précisés et justifiés. J’ai beaucoup appris. Traverser les frontières ne vous fait pas perdre votre identité, au contraire, cela permet de la questionner et de la comprendre plus en profondeur.
Cet article a été publié dans le rapport annuel 2021 des Académies suisses des sciences.
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