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« Aucun hôpital ne reconnaît publiquement avoir procédé à des triages »

En tant que membre de la Commission centrale d'éthique et juriste, Regina Aebi-Müller a contribué, avec les directives de triage, à combler les vides juridiques tout en respectant la Constitution. À cette occasion, elle a pu constater à quel point il est difficile pour les professionnel·le·s de la santé de s’appuyer sur la sécurité juridique dans les situations de triage.

 

Auteure : Sarah Vermij

© source de l'image: Annette Boutellier

L’un des défis de la Commission Centrale d'Éthique (CCE), constituée de représentant·e·s des professions de soins, de la médecine et de l’éthique, est la volonté d’être toujours à l’écoute de ses interlocuteurs et interlocutrices. Car mon point de vue n’est ni le seul possible, ni le seul juste. La culture du dialogue au sein de la CCE est ouverte et empreinte de respect et d'estime mutuels : un·e professeur ·e de médecine et un·e infirmier·ère se rencontrent
d'égal·e à égal·e. Il arrive régulièrement que des membres de la CCE attirent mon attention sur le fait qu'une disposition légale n’est pas applicable en pratique. Malgré la complexité des discussions, je les trouve profondément stimulantes et enrichissantes.


Je travaille dans de nombreux domaines juridiques en lien avec le Code civil ; mes activités comprennent par exemple le droit de la famille, le droit de la protection des adultes et le droit des personnes, mais aussi la méthodologie juridique. Ce vaste champ d’activités m’aide à ne pas m’arrêter au texte d'une disposition légale, mais à m’interroger sur le sens profond de cette norme. Je m’interroge de la même façon lorsqu’il s’agit d’autres textes, par exemple : si une personne mentionne dans ses directives anticipées qu’elle ne souhaite « pas de tubes », il est peu probable qu’elle pense à un cathéter urinaire.


Lorsqu’en automne 2020 et en 2021 certaines formes de triage ont été incontournables, j’ai vécu personnellement des moments de cauchemar. Nombreux étaient les médecins qui ont soumis leurs incertitudes à l’ASSM : « Suis-je en infraction ? Dois-je inscrire sur le formulaire comme décès exceptionnel un décès que j'aurais peut-être pu éviter ou retarder en temps normal, et aurais-je affaire à la justice ? » En tant que juriste, j'ai confiance en la sécurité juridique qu’apportent les directives de triage, car elles comblent une lacune de la loi, dans le respect de la Constitution. Pour les médecins, en revanche, cette situation était difficile à appréhender et ils ou elles ont très mal vécu le fait de ne pas pouvoir traiter leurs patient·e·s conformément aux normes habituelles.


À ma connaissance, aucun hôpital n’a admis publiquement qu'il avait dû procéder à des triages dans les unités de soins intensifs. L’ampleur des « triages silencieux » et les reports de milliers d’interventions planifiables à cause du manque de personnel et de moyens me semblent au moins tout aussi graves. Ce qui m’a le plus dérangée, c’est que les médias ont longtemps parlé d’« interventions électives » comme si, par exemple, un cancer et son traitement pouvaient être choisis et planifiés à volonté, comme une opération de chirurgie esthétique. Le report de milliers de traitement a très certainement porté préjudice à de nombreux patient·e·s, par exemple du fait de l'apparition de métastases en cas de cancer. À cela s’ajoute que les professionnel·le·s de la santé n’ont probablement pas toujours communiqué de manière transparente avec les patient·e·s et leurs proches. Je souhaite vraiment que ce sujet soit approfondi.


Avant la survenue de la prochaine vague, nous devons réfléchir à la manière de mieux encadrer juridiquement la gestion des pénuries sévères des ressources. Non seulement en médecine intensive, mais également dans l’ensemble du système. J’ai réalisé pendant ces deux années de pandémie, à quel point la collaboration entre les Académies, les autorités et les politiques était importante. L’expertise ne devrait pas uniquement être recherchée en période de crise. Les Académies sont tout à fait prêtes à collaborer !

Cet article a été publié dans le rapport annuel 2021 des Académies suisses des sciences.

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