Le 23 juin 2021
Auteure : Astrid Tomczak
Suzanne Suggs : Comment décririez-vous la communication scientifique au moyen de trois mots-clés ?
Perfectible. Sous-estimée. Nécessitant une priorisation.
Vous avez travaillé environ deux ans à l’élaboration de ce rapport. Dans quelle mesure la pandémie de coronavirus a-t-elle influencé votre travail ?
Nous voulions terminer le rapport plus rapidement, mais la pandémie a tout ralenti. Celle-ci nous a bien sûr aussi occupés au niveau du contenu. Elle a mis en lumière quelques lacunes et défis de la communication scientifique. C’est pourquoi nous nous sommes demandé si nous devions saisir cette occasion pour souligner, sur la base de la pandémie, combien était grand le besoin d’une communication scientifique plus constante et de meilleure qualité. Nous avons toutefois finalement décidé de nous en tenir au mandat d’origine, c’est-à-dire de prendre sous la loupe la communication scientifique en général. La crise du coronavirus sera derrière nous un jour. La communication scientifique nous accompagnera en revanche pour une durée indéterminée.
Selon le rapport, la population suisse accorde une grande confiance à la science. Celle-ci a maintenant, en raison de la pandémie, aussi en partie suscité une attention très critique – Cette confiance en a-t-elle souffert ? Ou a-t-elle été renforcée ?
Je ne peux pas apporter une réponse catégorique à cette question. Il y a constamment des hauts et des bas. Cela dépend du moment, de l’opinion politique, de l’idéologie et de l’attitude générale des gens à l’égard de la science. Face aux questions légitimes posées à la science, je dirais que nous devons renforcer le dialogue avec la population. La communication scientifique doit montrer de manière compréhensible comment fonctionne la science, c’est-à-dire comme un processus continu qui rend compte de l’état actuel du savoir dans les conditions du moment. Ces conditions-cadres peuvent changer. Un bon exemple est la diététique. C’est un peu brutal, mais il peut arriver qu’un aliment considéré un jour X comme sain puisse ensuite, sur la base de nouvelles données, se révéler potentiellement cancérigène. Cela ne se passe bien sûr pas du jour au lendemain, mais la population peut facilement avoir l’impression que nous changeons sans cesse d’avis.
« Si la science et les gens qui la communiquent promettent trop de choses, la confiance baisse. »
Il ne s’agit pas d’un paradoxe. Cela reflète simplement le fait que nous en savons de plus en plus. Cette réflexion est aussi valable pour la pandémie actuelle : nous sommes confrontés ici à un nouveau coronavirus sur lequel nous savions très peu de choses au début. Autre élément très important : si la science et les gens qui la communiquent promettent trop de choses, la confiance baisse.
Le groupe d'expert·e·s s’est aussi penché sur les réseaux sociaux. Ceux-ci peuvent jouer un rôle important dans la transmission de contenus scientifiques, mais ils peuvent aussi propager des faxes news. Twitter&Co sont-ils une bénédiction ou une malédiction pour la communication scientifique ?
Je considère de façon générale les réseaux sociaux comme une bénédiction, mais la manière dont ils sont utilisés est une malédiction. La technologie nous fournit un formidable accès au savoir et la possibilité de diffuser rapidement et largement des informations précieuses, davantage et mieux que tout autre canal. Les médias sociaux donnent donc du pouvoir à une large part de la population. Mais lorsque les gens en abusent pour répandre des fausses informations, c’est vraiment dommageable, peu importe si elles sont propagées volontairement et sciemment pour influencer l’opinion publique ou non. Nous avons donc besoin d’instruments, pour faire la distinction entre ce qui est crédible et ce qui ne l’est pas, et ces instruments de la réflexion critique doivent déjà être enseignés à l’école. Ce qui joue aussi un rôle important, c’est que de nombreuses personnes se meuvent dans les réseaux sociaux comme dans leur propre bulle et ont de ce fait une vision limitée. Les personnes en charge de la communication scientifique doivent savoir que les gens appréhendent les choses en fonction de leur propre vision du monde.
Pendant cette année de pandémie, on a justement pu observer certains représentant·e·s de la science se mettre en scène sur Twitter, au point que l’on pourrait presque parler de culte de la personnalité. Comment voyez-vous cela ?
Twitter et d’autres plateformes permettent à beaucoup de gens de se faire entendre. Le job d’un chercheur ou d’une chercheuse consiste à recueillir des données, à les rassembler, les évaluer et les diffuser dans une publication révisée par les pairs. La plupart n’ont pas la possibilité de communiquer publiquement ces données, sauf si un ou une journaliste les interviewe ou s’ils sont membres d’une task force, etc. Les plateformes offrent donc un espace pour les échanges. Mais cela peut aussi représenter un gros défi : cela incite les scientifiques à ne pas passer par le processus de la revue par les pairs et à se comporter comme s’ils tenaient un journal de bord ou une conversation autour d’une table en famille ou avec des amis. Les émotions prennent parfois le dessus, ce qui peut leur causer des difficultés. Des canaux comme Twitter incitent à ne pas réfléchir longtemps.
« Certains scientifiques sont devenus des super-héros sur Twitter. Il n’est pas facile de gérer ce statut. »
Il est humain de se réjouir lorsqu’on est pris en considération et que les gens veulent toujours en entendre plus. Mais la science est basée sur la crédibilité et cela peut alors représenter un défi.
Vous conseilleriez donc aux scientifiques de réfléchir à deux fois avant de poster un tweet ?
Absolument. C’est ce qu’ils font d’ailleurs aussi avant de donner une interview ou de publier dans une revue. Dans le même temps, il y a des scientifiques et des chercheuses et chercheurs qui font un travail fantastique sur Twitter et qui donnent un aperçu de leurs activités, ce qui ne serait sinon pas possible. C’est formidable.
Selon une recommandation de votre groupe d'expert·e·s, les chercheuses et chercheurs devraient être formés dans le domaine de la communication scientifique. Est-ce que la volonté est là du côté de la science ? Et les institutions sont-elles prêtes à débloquer des fonds pour cela ?
Cela dépend beaucoup des diverses institutions et personnes. Il y a différents modes de soutien. Certaines universités et hautes écoles offrent un coaching spécifique, d’autres rien du tout. Et si c’est le cas, ce sont souvent les doctorant·e·s et les jeunes chercheurs et chercheuses qui sont soutenus. Sur le plan personnel, le caractère joue un rôle important Certains et certaines aiment voir leur visage à la TV tous les jours, d’autres ne donneraient jamais une interview. Tout le monde ne doit pas communiquer de la même façon. Il est en revanche essentiel que tous les domaines de la science deviennent visibles dans le public et que des incitations dans ce sens soient créées. Pour le financement d’un projet de recherche, un plan pour la publication et la diffusion des résultats est aussi exigé. En général, on sous-entend par là une publication dans une revue scientifique. Mais on devrait également communiquer avec la société. Si les chercheurs et chercheuses ne peuvent ou ne veulent pas le faire eux-mêmes, des gens devraient être engagés pour cela dans les groupes de recherche.
Le groupe d'expert·e·s exige aussi un renforcement du journalisme scientifique qui ne se porte actuellement pas très bien. Comment cela est-il possible ?
Je souhaiterais que les médias abordent la science dans tous les domaines. Pour beaucoup de mes collègues, le journalisme scientifique se cantonne à la rubrique « science ». Je suis tout à fait favorable à l’idée de soutenir ces rubriques. Elles devraient avoir plus de moyens financiers afin de pouvoir embaucher de bons et bonnes journalistes. Mais beaucoup de choses que nous voyons et vivons chaque jour sont basées sur la science. C’est pourquoi j’aimerais lire plus d’informations scientifiques dans d’autres rubriques, par exemple dans un supplément « lifestyle ». Lorsque nous parlons de jardinage, nous pourrions parler de biodiversité, de ressources en eau, de plantes qui aident à purifier l’air, de plantes qui peuvent être toxiques pour les enfants ou les animaux. Il s’agit là d’occasions ratées.
Vous avez aussi évoqué un soutien financier pour le journalisme scientifique. Cet instrument est-il suffisant ?
Je pense que le financement est juste une question de mentalité et de fixation des priorités. L’argent est là. Il s’agit de choisir comment nous voulons l’investir. Les gens qui décident doivent comprendre qu’il faut prioriser la communication scientifique, et le journalisme en fait partie.
« Pour garantir cela, il est important que les newsrooms comptent des personnes qui ont un bagage scientifique. »
Voyez-vous aussi du potentiel du côté de la formation des journalistes ?
Oui, en effet. Un des effets positifs de la pandémie est que les gens accordent plus de valeur aux prestations journalistiques, simplement parce que les médias traditionnels, journaux et télévision, sont, pour la plupart d’entre eux, leur principale source d’information. Les gens sont avides de nouvelles fraîches et celles-ci sont fournies par les journalistes. Il est donc essentiel que ces derniers aient aussi un regard scientifique sur les thèmes abordés. Pour garantir cela, il est important que les newsrooms comptent des personnes qui ont un bagage scientifique. Si quelqu’un écrit sur des thèmes médicaux, il ou elle devrait avoir des connaissances médicales ou du moins avoir suivi quelques cours de base qui permettent de lire des articles scientifiques. Un exemple : lorsque j’étais professeure à Boston, nous avons proposé à nos étudiants et étudiantes en communication sanitaire un cours en épidémiologie grâce auquel ils et elles ont appris à classer des informations médicales. En Suisse, il y a un potentiel d’amélioration dans ce domaine. Il en va de même en matière de formation continue, avec par exemple des cours de base en statistique. Cela pourrait être financé par les pouvoirs publics ou par les entreprises de médias.
Compte tenu de la crise qui frappe le journalisme scientifique, encourageriez-vous des jeunes à embrasser cette profession ?
Oui. Peu importe que l’on soit jeune ou vieux.
« Plus on en sait sur la science et mieux c’est. Plus nous rendrons la science accessible et plus notre société ira bien. »
En tant que professeure, on me demande souvent des conseils en matière de carrière professionnelle. Ma première recommandation est toujours la suivante : suis ta passion. Tu devrais faire le travail qui te plaît. Mais on doit bien sûr aussi tenir compte du marché du travail. Pour quelqu’un qui souhaite avoir un job sûr et pour la vie, le journalisme n’est pas une option facile. Mais une formation de base en science et en communication peut ouvrir de nombreuses portes, dans le journalisme ou la communication scientifique, mais aussi dans une banque où l’on veut comprendre la science qui se cache derrière les activités boursières.
Pour conclure, quelle est la recommandation qui vous tient le plus à cœur ?
Ce qui est surtout important, c’est l’échange avec la société. Le fait que les gens comprennent la science et puissent y prendre part. Cela ne va pas dans un seul sens : les scientifiques apprennent autant des non-scientifiques que l’inverse. La science devient ainsi pertinente pour tous et toutes.
Biographie
Coordinatrice du groupe d'expert·e·s «Communicating Sciences and Arts in Times of Digital Media»
Académies suisses des sciences
Maison des Académies
Laupenstrasse 7
Case postale
3001 Berne