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Saul Friedländer

Lauréat Prix Balzan 2021 pour

 

Études sur la shoah et le génocide

Il compte parmi les principaux chercheurs sur la Shoah et le génocide et représente une voix de mise en garde pour le présent : Saul Friedländer, historien et auteur israélien récompensé à plusieurs reprises.

 

Sa carrière a aussi un lien avec son parcours de vie. En effet, il est né sous le nom de Paul en 1932 dans une famille juive germanophone à Prague. Après l’invasion de la Tchécoslovaquie, sa famille a émigré en France, où il a survécu en résidant dans un internat catholique. Ses parents ont tenté de fuir mais se sont fait refouler à la frontière suisse. Ils ont ensuite été déportés et probablement tués à Auschwitz. Paul Friedländer a émigré en Israël en 1948 et changé de prénom, devenant ainsi Saul. Après des études et un doctorat effectués à Paris et à Genève, il a enseigné en Israël et aux États-Unis, où il vit aujourd’hui.

 

En tant qu’historien, il ne se contente pas de mettre en lumière la situation politique ; il donne la parole aux victimes de la Shoah, les plaçant ainsi au centre de l’attention. Son livre L’Allemagne nazie et les Juifs est considéré comme un ouvrage de référence sur le sujet et a reçu le prix Pulitzer. Le prix Balzan lui a été décerné pour « l’impact unique qu’il a eu sur le développement des études sur la Shoah et pour son œuvre maîtresse, l’histoire complète de la persécution et de l’extermination des Juifs européens ». Il a ainsi écrit un récit historique qui « exprime l’indicible, alliant une analyse hautement spécialisée aux voix dérangeantes des victimes, des persécuteurs et des spectateurs ».

Ce que les chercheuses et chercheurs primés transmettent à la relève

Quelle est l’influence de la flore intestinale sur la croissance de l’enfant ? Qui étaient les Hourrites ? Que nous révèlent les ondes gravitationnelles sur les origines de l’univers ? Pourquoi de nombreuses personnes assistent-elles, en spectatrices et spectateurs passifs, à l’exclusion et à la persécution systématique d’autres peuples, à l’instar du sort réservé aux Juives et aux Juifs sous le régime nazi ? L’ensemble des scientifiques récompensés par le Prix Balzan 2021 apportent tour à tour des réponses à ces questions. Fin juin 2022, les lauréat·e·s ont été invité·e·s à Berne à l’occasion de la remise des prix. Au travers d’entretiens individuels, ils et elles nous ont livré un aperçu de leurs travaux de recherche ainsi que révélé qui sont leurs modèles et ce qu’ils et elles souhaitent transmettre aux jeunes chercheuses et chercheurs.

 

Entretien d’Astrid Tomczak-Plewka avec Christina Morina

 

Christina Morina, le lauréat du Prix Balzan Saul Friedländer a décidé de consacrer la moitié de sa dotation à un projet de recherche sous votre direction. De quoi s’agit-il ?

Nous analysons des journaux intimes de Juives et de Juifs persécutés ainsi que de « bystanders » non juifs dans toute l’Europe. Le terme anglais « bystander » désigne les personnes qui ne peuvent pas clairement être désignées soit comme des auteurs soit comme des victimes, mais qui ont néanmoins fait partie des événements de leur temps et joué un certain rôle. En français, on parle souvent de « spectateur » ou de « témoin », qui ne sont toutefois pas des termes analytiques pertinents. Nous voulons découvrir comment la persécution des Juives et des Juifs était perçue dans les journaux intimes des personnes présumées non impliquées et comment les auteurs juifs de journaux intimes percevaient ces « bystanders », puis nous demander quel rôle la majorité de la population, non juive, a joué dans la Shoah en général.

 

Comment expliqueriez-vous votre domaine de recherche à des jeunes de 14 ans qui étudient actuellement la Deuxième Guerre mondiale à l’école ?

Nous nous penchons sur la question fondamentale de savoir comment certains groupes de personnes se sont retrouvés systématiquement exclus d’une société, discriminés, insultés et persécutés, jusqu’à en arriver à la violence physique et au meurtre. Nous nous demandons quelles sont les circonstances qui contribuent à rendre une telle chose possible. Quels mécanismes sont alors à l’œuvre dans la société ? Qu’est-ce qui pousse des voisin·e·s, des collègues, des connaissances à faire preuve d’indifférence ou même de complaisance face à la persécution des victimes, voire à l’exacerber activement ? Nous voulons en outre découvrir ce qu’il faut faire pour que cela n’arrive pas.

 

Quelle est l’importance du Prix Balzan pour vous ?

Cette dotation nous donne l’énorme opportunité de poursuivre nos recherches sur la base du travail auquel Saul Friedländer a consacré sa vie entière et notamment de continuer son étude des journaux intimes. Pour moi, c’est l’une des plus grandes récompenses dont je pouvais rêver. Ce prix me permet de réunir une équipe de collègues et de mettre en place un pôle de recherche qui n’existait pas encore à l’Université de Bielefeld. Mais je poursuis et rassemble aussi des travaux auxquels je me consacre depuis dix ans. Ce prix est donc une énorme chance et je remercie de tout cœur la Fondation ainsi que Saul Friedländer pour leur générosité, leur encouragement et leur confiance.

 

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes gens qui souhaitent progresser dans la recherche, que ce soit dans votre domaine ou un autre ?

Je pense qu’il est très important de partir de ses propres questionnements et d’identifier clairement ce qui nous motive. L’intérêt et la motivation personnels ainsi que la question de savoir ce que je veux réaliser dans le champ scientifique et en dehors de celui-ci sont essentiels. Il faut alors chercher à aller droit au but pour obtenir une réponse à ces questions, et ce en mobilisant toute l’énergie dont on dispose. Ce qui est beau avec la science, c’est qu’il s’agit d’une entreprise sociale, qui se nourrit de l’échange avec les autres. Je conseillerais de cultiver cet échange et de prendre conscience que, dans le cadre de notre travail, nous sommes toujours des nains sur des épaules de géants.

Depuis 1961, la fondation Internationale Prix Balzan octroie chaque année un total de trois millions de francs suisses à des scientifiques éminents issus des sciences sociales et humaines et des sciences naturelles ainsi que des personnalités provenant des domaines de l’art et de la culture. L’annonce des lauréat·e·s a lieu en septembre à Milan et la cérémonie de remise des prix ainsi que le Forum interdisciplinaire des lauréat·e·s se déroulent tour à tour à Rome et à Berne. En raison de la pandémie de coronavirus, les événements de l’année dernière ont dû être repoussés. Le Forum se tiendra donc le 30 juin 2022. Cette année, six chercheuses et chercheurs seront récompensés à Berne pour leurs contributions aux études sur le microbiome, la gravitation, la Shoah et le genocide ainsi que l’art et l’archéologie du Proche-Orient.